L’hypnose médicale, nouvelle alliée contre la douleur

Christine Legrand, le 23/03/2015 à 13h44

 

2 500 experts venus du monde entier sont réunis à Paris, du 26 au 29 août, pour participer à un congrès sur l’hypnose.

Après avoir été bannie par la médecine pendant un siècle, cette discipline est de plus en plus utilisée pour éviter l’anesthésie générale ou apaiser les douleurs chroniques.

 

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« Hypnosédation » dans un bloc opératoire américain avant une intervention chirurgicale. Cette technique permettant d’éviter les effets toxiques des produits anesthésiques peut être pratiquée en complément d’une anesthésie locale. / AMELIE-BENOIST / BSIP

Marie-Claudine, 68 ans, devant subir une ablation des deux seins à l’Institut Curie (à Paris), le chirurgien lui a proposé d’effectuer l’intervention sous hypnose. « Ce qui m’a décidé, dit-elle, c’est qu’on m’a dit qu’à tout moment on pouvait basculer vers une anesthésie générale. Je voulais aussi éviter les effets toxiques des produits anesthésiques. »

 

Elle se souvient comment on l’a installée sur la table d’opération, avec un champ opératoire qui la séparait du chirurgien. Le docteur Aurore Marcou, médecin anesthésiste, a posé sa tête près de son oreille et lui a proposé de l’ « emmener en promenade ».

« Elle m’a demandé de choisir un lieu que j’aimais bien : j’ai choisi la montagne. » Un petit chemin qui grimpe, l’arrivée dans une clairière… « Elle m’a dit de respirer, de sentir les fleurs fraîches, l’air pur… Je suis partie tout de suite ! », sourit-elle.

« Comme l’intervention a duré plus d’une heure, au bout d’un moment j’en ai eu assez de la montagne. Je me suis donc mise à parler avec l’anesthésiste et le chirurgien. » De cette opération, Marie-Claudine garde un souvenir chaleureux. « J’ai aimé ce travail de collaboration entre les médecins et moi. Je n’étais plus un simple objet déposé sur la table d’opération. »

 

Dans ce centre de cancérologie réputé, l’« hypnosédation» est devenue depuis cinq ans une pratique de plus en plus souvent proposée pour les mammectomies, les curages axillaires, la chirurgie des glandes thyroïdes. « Elle convient particulièrement aux personnes qui ont besoin de récupérer rapidement, ou pour qui l’anesthésie comporte des risques importants, explique le docteur Aurore Marcou. On a pu ainsi enlever récemment une tumeur à une dame de 100 ans, qu’on n’aurait pas pu endormir. L’un des grands avantages de l’hypnose est qu’elle permet d’éviter les effets indésirables de l’anesthésie générale : troubles de la mémoire, fatigue, hypotension… »

 

Mise au point par l’équipe du professeur Faymonville à Liège en 1991, cette technique douce d’ « hypnosédation » a séduit les blocs opératoires un peu partout dans le monde. Depuis quelques années, les hôpitaux français y forment de plus en plus leur personnel : chirurgiens, anesthésistes, infirmières, sages-femmes.

Elle est pratiquée, en complément d’une anesthésie locale, pour les actes chirurgicaux qui ne touchent pas les organes « profonds » : coloscopies, hystérographies, ablation d’une thyroïde ou d’une hernie linguale. Plusieurs maternités la proposent aussi pour éviter la péridurale.

Pierre-François Descoins, médecin anesthésiste à l’hôpital de Niort, où une dizaine d’autres spécialistes sont actuellement formés, est devenu un fervent défenseur de cette technique. « Malheureusement, on ne peut pas la proposer à tous les patients, regrette-t-il, car elle demande de la disponibilité et un environnement calme pour les intervenants. Mais elle change l’atmosphère d’un bloc, crée entre le patient et le médecin une alliance de confiance, bénéfique pour tout le monde. »

 

 

L’hypnose est de plus en plus utilisée aussi dans le traitement des douleurs chroniques, que l’arsenal de la médecine classique peine à vaincre : environ la moitié des centres spécialisés l’ont intégrée, en complément d’autres approches (acupuncture, sophrologie, psychothérapie…).

 

À ces techniques qui sollicitent l’imaginaire, les enfants sont particulièrement sensibles. Édith Gatbois, pédiatre, a commencé à s’y intéresser dès 2004, quand elle travaillait en hémato-cancérologie et constatait que « les médicaments ne suffisaient pas à soulager les enfants ». Certains, terrorisés, arrivaient même à développer des phobies du soin.

 

Aujourd’hui, au centre anti-douleurs de l’hôpital Trousseau, elle fait appel à l’hypnose pour soigner des enfants atteints de céphalées, fibromyalgies, ou douleurs séquellaires du cancer. Après un examen neurologique classique, sa consultation (qui dure environ une heure et demie) débute par une conversation au cours de laquelle elle explique à l’enfant comment fonctionne la douleur. « J’emploie souvent l’image de la cocotte-minute et de sa soupape qui fait sortir la pression ; comme notre corps est plus sophistiqué qu’elle, on peut se créer de nombreuses soupapes : imaginer, rigoler ou faire une activité créative. »

 

Commence alors la séance d’hypnose proprement dite. La pédiatre propose à l’enfant de choisir entre un tapis volant ou une baguette magique pour ouvrir les frontières de son imaginaire. « L’enfant va s’en servir pour aller où il veut, dans un endroit agréable ; il va apporter des détails de saveurs, de musique, faire venir les gens qu’il aime. Comme il se sent bien dans cet imaginaire, son corps ressent ce bien-être, se pose et se repose, bercé par la respiration. L’objectif, précise la pédiatre, est que l’enfant arrive à reproduire ces exercices chez lui quand il sent qu’il a mal. Et que ce ne soit plus la douleur qui contrôle sa vie. »

« C’est fondateur pour des enfants de s’apercevoir qu’ils peuvent reprendre le contrôle de la situation », insiste Édith Gatbois. Même si elle ne prétend pas faire de miracles. « Certains arrivent à se débarrasser complètement de leurs douleurs ; pour d’autres, ça ne marche pas, car ils souffrent trop pour pouvoir lâcher prise. »

Mais la plupart arrivent à réduire leurs doses de médicaments, jusqu’à s’en passer. « C’est un outil écologique à usage multiple », résume-t-elle. Et les parents sont souvent contents qu’on leur propose des approches qui leur ouvrent d’autres horizons.

C’est aussi la conviction du docteur Franck Bernard, anesthésiste au CHP Saint-Grégoire à Rennes et responsable du pôle « douleurs aiguës » au sein d’Émergences. « L’être humain possède en lui de multiples ressources qu’il ne sait pas toujours mobiliser, plaide-t-il. Et plusieurs états de conscience, dont l’état hypnotique. » Il y voit un « outil de communication thérapeutique » qui fonctionne dans les deux sens. « Ils me confient un peu d’eux-mêmes, et je m’en sers pour les aider à aller mieux. La technique fonctionne, en effet, à condition que le patient soit motivé, confiant et coopérant. »

Elle permet ainsi d’instaurer un autre type de rapport entre le patient et son médecin. « La médecine toute technicienne a un peu perdu ses lettres de noblesse. Et si les médecins sont si nombreux à se former à l’hypnose aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont besoin d’une médecine plus humaine, plus proche du patient. L’hypnose permet une relation plus riche et une satisfaction plus grande ; et nos patients très souvent nous en remercient. »

 

Journal "La Croix"

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